LUTHER
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L’AUTRE VISAGE DE LUTHER
ET LA GNOSE PERDIT LE MOINE
HÉOBALD BEER rompt un long silence et nous fait découvrir le visage caché du père de la Réforme : celui d’un gnostique qui détestait SAINT AUGUSTIN
LUTHER ? DES DÉLIRES MANICHÉENS
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«ne pas l’avoir ennuyé avec des questions dilatoires, comme la papauté, le purgatoire, les indulgences ou autres blagues avec lesquelles presque tout le monde a tenté de me duper. Toi seul as bien vu le point crucial».
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Ce point mystérieux qui a bouleversé l’histoire de l’Église est resté INNSBRUCK jusqu’à aujourd’hui.
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THÉOBALD BEER l’a découvert. Âgé de 90 ans, il a fait ses études à Groningue, à PARIS, à INNSBRUCK. Jusqu’en 1974, il a été prêtre à LEIPZIG, en ALLEMAGNE de l’Est. Il a aussi été ouvrier. Aujourd’hui, THÉOBALD BEER vit seul à RATISBONNE, en Bavière. Trois petites pièces envahies de livres.
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HANS URS VON BALTHASAR l’a défini comme «le meilleur connaisseur de LUTHER de notre époque». C’est du reste HANS URS VON BALTHASAR qui a publié, à sa maison d’édition Johannes Verlag, l’ouvrage de THÉOBALD BEER intitulé «Der fröhliche Wechsel und Streit» (584 pages très denses).
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Il s’agit d’un livre révolutionnaire, qui est le fruit de 35 années d’étude.
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Au début du siècle, on découvrit des milliers d’annotations autographes de LUTHER, datant des années 1509-1516, dans la marge d’œuvres de SAINT AUGUSTIN, PIERRE LOMBARD, etc. Ainsi que les Disputes des années 1535-1545.
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THÉOBALD BEER est le premier à les avoir étudiées : ces annotations mettent en relief un LUTHER tout a fait inédit, anti-augustinien et, surtout, influencé par de très fortes suggestions gnostiques qui proviennent principalement comme le démontre THÉOBALD BEER de l’ouvrage du Pseudo
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A l’époque helléniste (IIIe S. av. J.-C.), un corpus d’ouvrages au contenu occultiste et astrologique qui se voulaient révélés par le dieu HERMÈS (Mercure) «trois fois très grand» (trismégiste) commença à circuler sous le nom de HERMÈS TRIMÉGISTE. Ce corpus, pour le moins ce qui en était resté, fut édité en 1471 par l’humaniste MARSILIO FICINO et remporta un grand succès dans les milieux érudits du XVIe siècle].
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Le cardinal JOSEPH RATZINGER a écrit à THÉOBALD BEER :
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«Je trouve votre travail vraiment stimulant. L’influence du néo-platonisme, de la littérature pseudo-hermétique et de la gnose, dont vous prouvez l’importance chez LUTHER, fait voir sa polémique contre la philosophie grecque et contre la Scolastique sous un éclairage tout à fait neuf. Nouvelle et importante est aussi la façon dont vous approfondissez la différence jusqu’au point central de la christologie et de la doctrine de la TRINITÉ».
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Mais l’ouvrage de THÉOBALD BEER pourtant accueilli avec respect par les protestants a subi les anathèmes des «spécialistes» catholiques de LUTHER. L’hégémonie exercée par l’école de LORTZ, MALINS, lSERLOH, PESCH, est totale. Cela explique sans doute pourquoi le livre de THÉOBALD BEER, paru en édition complète en 1980, est aujourd’hui encore inconnu a l’étranger. Souvent même, il n’apparaît pas dans les bibliographies. 30 jours brise cette conspiration du silence : nous avons demandé à THÉOBALD BEER de nous parler de ce LUTHER méconnu.
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Vous soutenez que dès le départ le vrai LUTHER a été censuré et édulcoré ?
THÉOBALD BEER : Le premier à avoir «refoulé» le vrai LUTHER est MÉLANCHTHON. Oui, MÉLANCHTHON, le Proeceptor Gerrnaniae, le divulgateur et l’avocat de LUTHER. C’est pourquoi ce qu’on appelle «luthéranisme» est en réalité la pensée de MÉLANCHTHON. Lui qui lança contre LUTHER, après la mort de celui-ci, cette accusation terrible :
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«Délire manichéen !»
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Cette accusation est-elle fondée ?
Pour MANI il y a deux forces en DIEU, il y a même deux dieux qui s’affrontent. SAINT AUGUSTIN, avant sa conversion, avait fait partie de cette secte gnostique, et ce sera lui précisément qui réfutera cette hérésie.
On trouve chez LUTHER de nombreux passages où revient l’idée manichéenne : DIEU : est contre lui-même :
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«on a doit concéder au diable une heure de divinité et je dois attribuer à DIEU la nature diabolique».
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Ce dualisme, cette opposition que LUTHER attribue à DIEU, existe en fait à l’intérieur de lui-même. La théologie de LUTHER est très précisément son autobiographie. La racine de la vision de LUTHER ne se trouve pas dans la doctrine manichéenne, mais bien dans sa vie, dans la victoire qu’y a remportée la haine envers DIEU, haine qu’il transfère sur le CHRIST. LUTHER date la vision de celle lutte gigantesque de sa première année passée au monastère.
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Quelle position occupe le CHRIST dans la conception luthérienne ?
Le CHRIST est dans une position de malédiction contre DIEU.
LUTHER écrit :
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«le CHRIST n’a pas pris sur soi seulement une condition humaine générale, mais s’est soumis au diable, il est en quelque sorte consentant envers le diable, il n’assume pas seulement les fautes, comme l’affirme la foi catholique, mais aussi la disposition au péché.»
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LUTHER comme tous les hérétiques a besoin de l’authentique doctrine catholique, de la tradition, pour construire dessus ses délires. Il en va de même des hérétiques d’aujourd’hui.
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Quelle est la conclusion au sujet du CHRIST ?
Le CHRIST, selon LUTHER, ne peut pas être une «personne», il doit être un «compositum», puisqu’en Lui divinité et malédiction, à savoir nature diabolique, doivent coexister. LUTHER définit l’union de l’humanité et de la divinité comme un «compositum».
Le CHRIST, selon LUTHER, ne peut pas être une «personne», il doit être un «compositum», puisqu’en Lui divinité et malédiction, à savoir nature diabolique, doivent coexister. LUTHER définit l’union de l’humanité et de la divinité comme un «compositum».
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Toute la tradition de l’Église. au contraire, nie que l’on puisse définir le CHRIST comme «compositum» ( «Omnes enim negant. Christum esse compositum, etsi constitutum affirmant» : Tous nient en effet que le CHRIST soit «composé», tous affirment qu’il est «constitué»).
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LUTHER, lui, répète que compositum : est juste, et que constitutum est erroné. Pour lui, le CHRIST n’a pas d’unité personnelle, mais est une composition d’humanité et de divinité.
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Ici aussi, LUTHER projette sa propre représentation de lui-même sur l’humanité du CHRIST («il est soumis au diable»). Il dit que dans la personne du CHRIST une lutte titanesque s’est déroulée, alors qu’il s’agit de la lutte de LUTHER lui-même.
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Comment la tradition catholique juge-t-elle la notion de «Composition» des deux natures dans le CHRIST ?
Elle l’estime absolument hérétique.
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LUTHER utilise a ce propos un fatras de concepts et d’images grâce auquel il prétend remplacer la doctrine de l’Église sur l’union Hypostatique de l’humanité et de la divinité de JÉSUS-CHRIST.
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Le Concile d’ÉPHÈSE a expressément déclaré ce qui suit :
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«si quelqu’un prétend désigner cette union personnelle par les expressions «appositam, adiectum, copulati, habentern» (cf. Denz. 258, 259, 262), qu’il soit anathème !»
Mais LUTHER définit ouvertement le CHRIST comme «compositus» de deux natures, contre SAINT AUGUSTIN, contre tous les Conciles et toute la tradition de l’Église. Il défend sans se lasser la notion de compositum. Même en 1540, dans le cadre de la dispute sur la divinité et l’humanité du CHRIST, MÉLANCHTHON au contraire écrit, après la mort de LUTHER :
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«Il faut rejeter les formules : «le CHRIST est composé de deux natures» et «le CHRIST est une créature».
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Cette définition du CHRIST est-elle si importante pour la foi chrétienne ?
Elle est essentielle. L’Église a condamné ces définitions parce qu’avec elles nous perdons le mystère de la révélation personnelle, dans le CHRIST, de la TRINITÉ.
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LUTHER reprend pourtant la définition traditionnelle de la personne ou hypostase, à propos du CHRIST, mais il écrit ensuite :
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«Tout est créé (condita) de la même façon par le même Créateur et par le même décret. Je veux vraiment dire ceci du CHRIST : Il est fait (factus) à l’image de DIEU, en mode hypostatique, mais ajouté (additus)».
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SAINT PAUL affirme au contraire en COLOSSIENS I, 16 : «In ipso condita sun universa» (Tout a été fait par Lui).
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En somme, LUTHER ne laisse plus de place à une véritable union personnelle.
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Qui est donc le CHRIST pour LUTHER ?
LUTHER ne se demande pas : «Qui est le CHRIST ?» mais «Qu’est-ce que le CHRIST ?». Et souligne : «Le philosophe (la philosophie scolastique NDLR ) répond : «C’est une personne, ect.» : mais le théologien. lui, répond : «C’est un rocher, une pierre d’angle».
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Et LUTHER d’ajouter aussi tôt :
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«mais petra signifie peccatum, «ita Christus vere est pcecatum» (aussi le CHRIST est-il vraiment péché).
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Il ne s’agit pas d’une «personne» mais de deux fonctions, la première consistant à nous épargner la colère divine, la seconde à nous donner un exemple. C’est la double justification.
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LUTHER ne rejette donc pas seulement la Scolastique, mais identifie la nature humaine du CHRIST au péché, au mal. De nouveau un thème gnostique.
Exactement. C’est pourquoi je suis effrayé quand je vois aujourd’hui des théologiens catholiques pour lesquels il n’est plus nécessaire de parler de nature ou de personne (à propos de la TRINITÉ). Il s’agit d’une matière grave, et il faut avoir le courage de mettre en cause ces nouveautés. Si nous les catholiques, nous ne parlons pas franchement, alors nous sommes perdus...
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A propos de la gnose, quelle est l’influence réelle du Livre des 24 philosophes sur la pensée de LUTHER ?
Sur tous les points fondamentaux, LUTHER a recours au Pseudo-HERMÈS TRIMÉGISTE Chaque fois qu’il se retrouve au pied du mur et qu’il doit fuir, il se réfugie dans ce système.
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ISERLLOH vous a objecté que c’est une influence tout à fait marginale.
MÉLANCHTHON a été mis au pied du mur au concile d’AUGSBOURG par les catholiques, qui lui ont opposé la phrase de SAINT PAUL : «Fides charitate infomiata (La foi informée par la charité).
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Et LUTHER, qui ne sait pas quoi répondre sur ce point capital, réplique en se réfugiant dans le langage géométrique, antithétique à l’ordre de la chantas :
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«La relation entre DIEU et l’homme est comme une ligne touchée par une sphère ; la sphère ne rencontre toujours la ligne qu’en un point, et la situation du CHRIST est précisément ce point. Nous sommes toujours sur la voie, mais la sphère nous touche toujours en un seul point».
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Oui, on lit à la thèse !! : «Deus est sphaera infinita, cuius centrum est ubique...» (DIEU est une sphère infinie dont le centre est partout...).
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Et la thèse XVIII dit : «Deus est sphaera, cuius toc sunt circumfercntiae. quoi sont puncta» (DIEU est une sphère donc les circonférences sont aussi nombreuses que les points).
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Trouve-t-on des références encore plus importantes ?
Il y a un passage de l’Évangile de JEAN où JÉSUS dit : «En vérité, en vérité je vous le dis : avant qu’ABRAHAM fût, Je suis» (JEAN 8,58).
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Et comment LUTHER interprète-t-il ce passage ?
Il écrit :
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«Sicut fit in omnibus nominibus accidentalibus, non autem in substantialibus, quia Christus non dixit antequam Abraham fieret, ego sum Christus, sed simpliciter : ego sum» (Il en est ainsi de tous les noms relatifs aux accidents, mais non aux substances, puisque le CHRIST n’a pas dit : avant qu’ABRAHAM fût, je suis le CHRIST, mais simplement : je suis).
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Il introduit en somme la différence entre substance et accident.
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Voulez-vous dire que pour LUTHER le rapport entre la divinité et l’humanité du CHRIST est identique à celui entre substance et accident ?
Oui. LUTHER affirme
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«Sicut aibus est respecta hominis, ita Christus respectu filii Dei» (Ce qu’est le blanc en relation à l’homme, cela, le CHRIST l’est en relation au FILS de DIEU).
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«ET LA GNOSE PERDIT LE MOINE»
Pouvez-vous expliquer à quoi tient l’importance de ce jugement ?
Pour LUTHER, dans ce passage Notre Seigneur ne parle pas en tant que personne, ne dit pas ego sum Christus, mais seulement ego sum.
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Il ne possède donc pas l’unité personnelle. Il parle en tant que substance et accident, la substance étant la divinité, l’accident étant l’humanité.
Or. la façon de penser et de parler de LUTHER, sur ce point, dérive de la VIe thèse du Pseudo HERMÈS TRIMÉGISTE
«Deus est cuius comparatione substantia est accidens, accidens nihil» (DIEU est cela en relation à quoi la substance est accident et l’accident n’est rien).
Une chose est sure : ses conceptions de la TRINITÉ et de la divinité et de l’humanité du CHRIST ne sont pas du tout celles de l’Église, exprimées dans tous les Conciles.
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Même MÉLANCHTHON refusa, non seulement de répandre ces idées, mais défendit carrément les décrets conciliaires.
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On est loin des indulgences ! Loin d’un simple «malentendu» ! LUTHER minait le coeur même de la foi...
Si, à l’époque du CONCILE DE TRENTE, on avait connu ces thèses, il y aurait certainement eu des condamnations théologiques formelles.
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Mais est-il possible que LUTHER ait nié consciemment les fondements de la foi de l’Église ?
Dans un passage du DE TRINITATE (II,5,9), SAINT AUGUSTIN explique l’origine trinitaire de l’INCARNATION :
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«Pater invisibi. lis una cum Filio secum invisibili eundem filium visibilem faciendo misisse eum dietus est» (Il fut dit que le PÈRE invisible unitairement au FILS près de Lui invisible, a envoyé le même FILS en le rendant visible)
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LUTHER lit ce passage (nous sommes en 1509) et écrit en marge, de manière sarcastique :
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«Mais voyez quelle étrange conclusion».
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Pour LUTHER, une mission intra-trinitaire du FILS est impossible, puisque la fonction du CHRIST comme rocher nous protège de la colère divine.
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LUTHER attribue au CHRIST deux natures, mais avec des fonctions opposées. Tout cela a d’ailleurs de nombreuses conséquences. C’est pour cette raison, par exemple, que LUTHER applique au FILS de DIEU déjà incarné (et non avant l’incarnation) la kénosis donc parle SAINT PAUL (« il s’est anéanti en assument la condition d’esclave»).
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LOTZ dit : ce n’est pas LUTHER qui a donné naissance à la Réforme. Il a seulement traduit ce que le Nominalisme, surtout GABRIEL BIEL et GUILLAUME d’OCCAM, avaient déjà préparé.
C’est absurde. Tout le monde le sait, même les protestants le disent, Il est prouvé que c’est une contre-vérité, Les «spécialistes» ne veulent pas voir, une bonne fois pour toutes, le vrai LUTHER. GABRIEL BIEL écrit exactement le contraire de ce qu’affirme LUTHER : il est fou d’appliquer la distinction entre substance et accident à la relation entre divinité et humanité dans le CHRIST. Au CONCILE DE TRENTE, GABRIEL BIEL fut toujours cité comme un modèle de foi catholique.
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Une myriade d’exemple. Ce sont des points fondamentaux :
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LUTHER, par exemple, utilise des catégories hermétiques lorsque, décrivant l’effroi devant la majesté divine, il affirme que l’essence de DIEU est supra, extra, ubique (au-dessus, en dehors, partout), qu’il est un point sans étendue : «Ergo Pater et Filius niagi sunt unum quam punctum» (Donc le PÈRE et le FILS sont plus unis que ne l’est un point).
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LUTHER est ici débiteur envers les thèses II et III du Livre des 24 philosophes, Il s’ensuit, selon LUTHER, que «l’Église est un corps extérieur, mais ne participe pas à la nature divine ».
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MÉLANCHTHON dit le contraire : «La personne du CHRIST est envoyée à l’Église pour lui apporter l’Évangile depuis le sein du PÈRE Éternel»,
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D’autres exemples encore ?
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«In qua (Gloria Dei sum Pater cognoscit, non nobis, sed Deo sibique ipsi relucet» (En elle (la gloire de DIEU) le PÈRE se connaît lui-même et resplendit non pas pour nous, mais pour DIEU et pour lui-même).
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«Deus est monas, monadem gignens, in se suum reflectens ardorem» (DIEU est monade qui engendre monade, reflétant en soi sa splendeur).
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Pour sa part, LUTHER écrit encore :
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«Non quod nobis sit figura substantiae Dei, sed ipsimet Deo, ita quod solus Deus suam formam in ipso cognoscit» (L’image de la substance de DIEU n’est pas en nous, mais seulement en DIEU lui-même, puisque seul DIEU connaît sa propre forme).
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«Deus est intellectus sui, solus praedicationem non recipiens... Sed se ipsum ipse intelligit, quia ipsum ad ipsum generat» (DIEU est intelligence de soi, le seul qui ne reçoit pas de définition.., mais qui se connaît lui-même puisqu’il s’engendre lui-même pour lui-même).
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«Deus est mens ...numerat se genitor gignendo : genitura veto verbificat se.. per modum continualionis se habet spirando» (DIEU est intelligence... ce qui engendre se multiplie en engendrant : ce qui est engendre se verbifie ...se manifeste en aspirant par le mode de la continuation).
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En 1514, LUTHER reprend cette thèse presque à la lettre :
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«DIEU se multiplie à travers ses reproductions».
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Pourquoi a-t-il besoin de recourir à ce système ?
Parce que LUTHER a besoin de projeter sur DIEU la lutte gigantesque qui se déroule en lui. Dans la Trinité même, il n’y a plus de personnes : c’est la projection de lui-même.
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Et cela ouvre la voie à SCHELING et HEGEL, qui très logiquement, se serviront du même Pseudo HERMÈS TRIMÉGISTE
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On est donc en plein gnosticisme...
Oui, LUTHER puise précisément à des systèmes néopythagoriciens et néoplatoniciens. La mythologie gnostique revient d’ailleurs dans toutes ses oeuvres, du début à la fin, par exemple avec l’image du LÉVIATHAN, qui est reprise cent fois par LUTHER parce qu’elle représente le fond de sa pensée.
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Expliquez-nous le sens de cette image.
DIEU tient la canne à pêche, les prophètes sont la ligne et sur l’hameçon il y a l’appât, à savoir l’humanité du CHRIST, qui est dévorée par le LÉVIATHAN, étant assimilée et possédée par le diable.
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LUTHER écrit :
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Le CHRIST opère pour notre salut, mais sine humanirate cooperante (sans qu’y coopère sa nature humaine). La fonction de la divinité du CHRIST est de dévorer le diable, qui est l’humanité même du CHRIST. Le CHRIST en tant qu’homme n’est qu’un vers de terre accroché à l’hameçon, il ne participe pas activement, mais seulement passivement, à la lutte.
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Dans une note de l’an 1509, LUTHER écrit :
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«Credere est in humanitatem eius credere» (Croire signifie croire en son humanité).
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Il se réfère seulement à l’humanité du CHRIST, laquelle est notre pêché lui-même.
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Le CHRIST ne peut donc pas être une «personne» parce qu’il est radicalement divisé en lui-même, étant à la fois le diable et DIEU ?
Exactement. Tel est le manichéisme. Et telle est l’origine de HEGEL, de SCHELLING, de FICHTE.
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C’est-à-dire de la modernité...
LUTHER ajoute d’ailleurs qu’il y a une deuxième crucifixion et qu’elle concerne chaque chrétien.
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Il y a d’abord le phénomène historique de la crucifixion de JÉSUS-CHRIST, puis la crucifixion de l’homme ?
LUTHER écrit, comme écrira plus tard BULTMANN :
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«l’Évangile ne consiste pas dans les faits historiques qui y sont rapportés. Certes, le CHRIST s’est fait homme, mais cela ne m’intéresse pas. Seul importe ce que le CHRIST est pour moi. Pour moi il est le porteur du péché et c’est sur lui que se consomment la lutte et la défaite. Voilà ce que le CHRIST est pour moi.»
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LUTHER inaugure donc la séparation entre le JÉSUS de l’histoire et le JÉSUS de la foi.
JÉSUS, tel que vous en parlez, est la deuxième personne de la TRINITÉ qui s’est faite homme. C’est une seule personne. Il s’agit de la même personne.
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Au contraire, LUTHER dit :
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il y a deux fonctions opposées dans le CHRIST, qui ne peuvent pas être mentionnées ensemble, «autrement elles deviennent quelque chose de diabolique». D’une part le CHRIST est celui qui étrangle (devorator) le péché, de l’autre il est un exemple.
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BULTMANN et tout le reste sont donc déjà annoncés par LUTHER ?
Mais bien sûr ! Simplement, on n’a pas voulu lire cela chez LUTHER, ni le constater.
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Pour lui il y a deux CHRIST, de même qu’il y a deux ABRAHAM.
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Est-ce LUTHER qui le dit ?
Oui. Prenons le commentaire de l’Épître aux GALATES en 1531 ;
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«Ergo alius Abraham credens, alius Abraham operans. Alius Christus redimens, aliud Cliristus operans...et haec distingue ut coelum et terra» (Donc autre est l’ABRAHAM qui croit, autre l’ABRAHAM qui oeuvre, autre le CHRIST qui rachète, autre le CHRIST qui oeuvre.., distingue ces choses comme le ciel et la terre).
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Le CHRIST rédempteur est celui qui dévore le diable et l’engloutit. Le CHRIST agissant est celui qui me donne la force de faire des oeuvres, ils s’opposent comme le ciel et la terre.
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Penser et nommer conjointement le CHRIST sacramemtum et le CHRIST exemplum est, pour LUTHER, aberrant, c’est la cause de toutes les erreurs.
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Nous sommes ici aux antipodes de SAINT AUGUSTIN.
LUTHER méprise SAINT AUGUSTIN. Dans les Confessions, AUGUSTIN attaque le dualisme des manichéens, critique leur conception de deux divinités hostiles l’une à l’autre.
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En marge de ce passage, précisément, LUTHER écrit :
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(«C’est faux. C’est de là que viennent toutes les erreurs d’AUGUSTIN».
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Il attaque donc AUGUSTIN lorsque le saint évêque s’oppose aux manichéens.
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C’est pourquoi MÉLANCHTHON, surtout après la mort de LUTHER, accusera celui-ci de manichéisme («deliria manichea»), parce que chez LUTHER on voit revenir les deux dieux, les deux CHRIST.
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Certes, LUTHER n’est pas totalement manichéen. Il n’enseigne pas, comme les manichéens, une existence propre, cosmique et permanente du mal. Le péché dont parle LUTHER finit avec la mort ; mais, par là, l’humanité du CHRIST, ce masque, cette enveloppe du corps, ne sera plus retrouvée.
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Toute la construction de LUTHER repose, comme le gnosticisme, sur un désespoir radical la réalité s’identifie à l’enfer et il n’y a pas de salut réel. Son système théologique ressemble à une tanière, à un refuge, pour un homme traqué, terrorisé.
En effet, quand des disciples de MÉLANCHTHON lui demandèrent pourquoi il avait inventé le nouveau dogme de la fide apprehensiva (c’est-à-dire de la foi qui attire à soi, en l’arrachant, l’humanité du CHRIST), LUTHER répondit :
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«comme protection contre DIEU».
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LUTHER affirme sans cesse que l’humanité du CHRIST, ainsi que les sacrements et l’Église, ne sont rien d’autre qu’une protection, une cachette, contre DIEU, contre la colère de DIEU.
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Comment imaginer une divinité mauvaise, méchante ?
Pour LUTHER elle l’est : DIEU en soi est mauvais, il faut attribuer à DIEU, lui aussi, la nature diabolique.
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Quand SAINT PAUL écrit à propos de JÉSUS-CHRIST :
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«En Lui habite la plénitude de la divinité»,
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LUTHER commente
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«Il est bon que nous ayons un tel homme, parce que DIEU en lui-même est cruel et mauvais».
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Mais sa pensée n’est pas une pensée systématique, elle suit son expérience personnelle. Aussi, du fond de la lutte et de l’inimitié radicale, monte-t-il un soupir vers le PÈRE.
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La doctrine catholique sur la TRINITÉ en est-elle compromise ?
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Évidemment. Le philosophe néoplatonicien PORPHYRE affirme :
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«Plures hommes sunt unus homo» (Plusieurs hommes sont un seul homme) pour signifier qu’une pluralité d’hommes n’en est pas moins qualifiable sous la catégorie «l’homme».
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C’est ainsi que certains veulent expliquer le mystère de la TRINITÉ. Mais SAINT AUGUSTIN, dans De Trinitate (VII, 6, II), s’oppose à cette absurde réduction rationaliste. Elle est inacceptable.
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Alors LUTHER écrit en marge
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«De même qu’«homme» est une expression qui définit tous les hommes et que la substance est la même, ainsi «personne» en DIEU est un terne commun à beaucoup et signifie la substance de la divinité».
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Il dit précisément le contraire de ce qu’affirme AUGUSTIN. LUTHER reprend la conception de PORPHYRE sur la TRINITÉ.
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Mais comment a-t-on pu définir LUTHER comme un augustinien ?
Si c’est pour cela, alors LUTHER contredit aussi SAINT PAUL. Celui-ci écrit :
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«Vous êtes dans le CHRIST JÉSUS qui est devenu pour nous sagesse venant de DIEU, justice, sanctification et rédemption» (I CORINTHIENS 1,30).
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AUGUSTIN, à propos de ce passage, parle de la «grâce incréée».
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Et LUTHER ?
LUTHER oppose à AUGUSTIN l’idée de grâce créée, et même sa propre idée de «grâce créée», d’amour créé :
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«Est enim dilectio creata : sicut Christus est fides, iustitia, gratia nostra et sanctificatio nostra» (Il est en effet amour créé : comme le CHRIST est foi, justice, notre grâce et notre sanctification).
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LUTHER en arrive ainsi à affirmer que «Christus factus est», que le CHRIST a été fait, alors que toute la tradition de l’Église (et même MÉLANCHTHON) déclare que
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«Notre Seigneur JÉSUS-CHRIST est le FILS Unique de DIEU, qu’il est «genitum non factum» («engendré, non créé»).
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Cela ressemble à des disputes très ardues, à des choses d’une autre époque, réservées aux spécialistes.
Aujourd’hui, de nombreux théologiens évitent le problème suivant, qui est pourtant le problème central : JÉSUS-CHRIST est l’unité personnelle de la nature divine avec la nature humaine. On en vient à parler de l’INCARNATION comme d’un devenir, du CHRIST comme du «cas suprême de l’auto révélation de DIEU». On confond les termes «essence» et «personne», «ontique» et «ontologique».
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Nous vivons un moment grave, aussi grave que l’époque de LUTHER.
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N’êtes-vous pas un peu « catastrophiste » ?
Non. Le fait est que lorsqu’un homme perd la voie, la porte, le visage même du Mystère, à savoir la personne de JÉSUS-CHRIST, à ce moment-là il se perd lui-même, Il ne sait plus d’où il vient, ni où il doit aller.
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Vous parlez de LUTHER ?
LUTHER a abandonné la source de la vie à cause de l’influence du diable, mais «sous les hurlements bruyants de la haine de DIEU il reste le gémissement soumis : PÈRE !» ; sous la négation de la volonté, il reste un appel à une volonté supérieure. Tandis qu’aujourd’hui on en arrive à soutenir les mêmes folies sans même ce dernier lien de douleur. Ce n’est pas seulement une question doctrinale.
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Un professeur protestant, un ami à moi, parlant il y a quelque temps de certains théologiens catholiques, a conclu sur ces mots :
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«ils sont pire que LUTHER».
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Le 3 janvier 1521, l’Église catholique apostolique romaine excommunie MARTIN LUTHER.
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«Tout a commencé avec la première erreur des protestants»,
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Les catholiques ont toujours considéré cet événement comme le premier acte d’une tragédie unique qui se poursuit avec l’ILLUMINISME, la MAÇONNERIE, l’idéologie du XIXe et le MODERNISME.
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Le ton affecté par ROME nous semble aujourd’hui plutôt fruste et expéditif («le démon se cache sous le manteau de sociétés secrètes», écrivait SAINT JEAN BOSCO), mais ROME s’attirait des foudres bien plus grandes ( LUTHER se proposait «d’arracher la langue au Pape et de l’envoyer à la potence avec toute la plèbe qui l’idolâtre»). C’était le langage de l’époque. Et le signe d’une libellé qui n’est plus possible à présent.
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Du reste, objectivement, l’arbre généalogique dont parlaient les catholiques avait effectivement des ramifications occultes. Ce n’est pas un hasard si - pour parler des ROSICRUCIENS, en 1615, la Confessio Fraternitatis
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«attestait l’existence d’une confrérie secrète réformée dont le symbole était une rose et une croix, le symbole figurant sur les armes de LUTHER»
«attestait l’existence d’une confrérie secrète réformée dont le symbole était une rose et une croix, le symbole figurant sur les armes de LUTHER»
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(C’est ce qu’écrit l’italien ROSARIO ESPOSITO qui explique que «la CROIX représente la sagesse du Sauveur, la parfaite connaissance ou GNOSE, alors que la rose est le symbole de la purification, de l’ascétisme... le signe de la Grande Œuvre Alchimique»).
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Et ce n’est pas un hasard si la fondation de la MAÇONNERIE spéculative en 1717 porte le sceau d’un pasteur protestant, le révérend ANDERSON.
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Mais au XXe siècle, l’historiographie catholique effectue un complet retournement. LUTHER devient quasiment un saint et à coup sûr un mystique. SEBASTIAN MERKL fut un des pionniers de cette volte-face. C’est cette école qu’a suivi le luxembourgeois JOSEPH LORTZ, auteur de l’ouvrage qui marque le retournement.
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LE LOBBYS LUTHÉRIEN
par Antonio Socci
Un groupe influent d’historiens catholiques a transformé le moine allemand en un grand théologien victime d’un malentendu. Au cours de ces dix dernières années, les voix qui ne rejoignaient pas ce chœur ont été censurées.
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Die Reformation in Deutschland, paru en 1939 et continuellement réimprimé depuis. LORTZ (c’était une première chez les catholiques) attribue une bonne partie de la responsabilité de la rupture de 1517 à ROE, LUTHER y est décrit comme un théologien profond, assidu à la prière. Certes un peu trop subjectif, mais par la faute de l’Église qu’il avait devant lui
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«LUTHER a détruit en lui-même un catholicisme qui n’était pas catholique».
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Si on va jusqu’au fond de la pensée développée par LORTZ on peut conclure (comme l’a observé RATZINGER)
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«que la division de l’Église résulte d’un véritable malentendu qui aurait pu être évité par des pasteurs plus vigilants dans leur pensée».
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ERWIN lSERLOH et PETER MANNS, deux élèves de LORTZ, ont achevé l’œuvre du maître. Selon ERWIN lSERLOH, LUTHER, à l’époque critique de 1517, est un théologien catholique modèle.
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Et le père MARINS observe que
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«le magistère, à partir d’une vision du catholicisme historiquement figée, considère LUTHER comme un hérétique», mais que «LUTHER devance la vieille Église (qui l’aurait volontiers brûlé) comme il devance l’Église réformée... LUTHER les précède l’une et l’autre, sans pour cela les abandonner»,
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OTTO PESH et l’historien HUBERT JEDIN font également partie de la nouvelle école, laquelle exerce, aujourd’hui, une hégémonie absolue dans l’Église catholique.
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Ainsi, elle est devenue complètement officielle. Le Catéchisme pour adultes de la Conférence épiscopale allemande reprend toutes ses thèses.
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Le discours du cardinal WILLEBRANDS à ÉVIAN, en 1970, au cours de la Conférence mondiale sur LUTHER, est également mémorable. Ce lobby d’historiens fait figure, aujourd’hui, d’historiographie officielle de l’Église.
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Mais depuis ces dix dernières années, il y a un phénomène plus inquiétant : aucune autre thèse historique, théologique ou scientifique un peu critique sur LUTHER n’est admise. C’est tout simplement interdit.
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Le cas de REMIGIUS BAUMER est retentissant.
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Ce spécialiste de LUTHER, à la veille de la visite du Pape en ALLEMAGNE en 1980, a rédigé un chapitre d’un ouvrage collectif sur l’histoire de l’Église allemande. Il n’a diabolisé personne mais a fait des remarques critiques sur LUTHER. Le volume fut retiré de la vente et BAUMER fut réprimandé.
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On en est arrive à constituer des délégations officielles de l’épiscopat pour dissuader les experts catholiques de critiquer LUTHER.
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La même année est parue la seconde édition (complétée) du livre de THÉOBALD BEER, Der fröhliche Wechsel und Streit.
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A la lumière de nouveaux écrits de LUTHER découverts au cours de ces dix dernières années, THÉOBALD BEER démontre que, des 1509, LUTHER réfute complètement la doctrine de l’Église sur la TRINITÉ, l’INCARNATION et l’unité de la personne de JÉSUS CHRIST. Et que son augustinisme n’est en rien radical. C’est tout autre chose qu’une querelle sur les indulgences, qu’un entêtement de la Curie romaine ou qu’un malentendu. THÉOBALD BEER a été naturellement réprouvé, son ouvrage a été officiellement mis à l’écart et passé sous silence.
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Et même le cardinal RATZINGER coupable, en 1965, d’avoir cité THÉOBALD BEER, BAUMER et l’ouvrage d’un converti au catholicisme, PAUL HACKER, a été frappé d’anathème par le lobby. Le père PETER MANNS le traite d’ignorant et lui conseille de «rétracter».
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RATZINGER n’aurait pas dû citer un outsider comme THÉOBALD BEER :
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«Les questions de ceux qui font figure d’outsiders ont toujours peu d’importance pour les insiders (la ligue des spécialistes), mais insiste le cardinal ce sentiment démesuré d’appartenance à un corps, qui censure de telles voix, oblige précisément à enfreindre la loi du silence».
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On ne pardonne pas à RATZINGER d’avoir critiqué à cette occasion KARL RAHNER.
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MATINS en arrive à effectuer une analyse de la lettre du Pape sur LUTHER en 1983. Et à opposer «une teneur d’origine du document» qu’il juge positive, à une formulation qu’il attribue à RATZINGER. Opération qui lui permet (observe RATZINGER)
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«de mettre allègrement en évidence une contradiction entre le Pape et moi-même. et de retourner l’autorité du Pape à mon encontre»,
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Le préfet de l’ex-Saint-Office affirme qu’il s’agit d’une pure fantaisie de MATINS, mais il est curieux que le «gardien» de l’orthodoxie catholique soit sujet à de tels procédés et injonctions de «rétractation».
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Quelqu’un a écrit :
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«Toute l’eau de l’ELBE ne pourrait fournir assez de larmes pour pleurer sur les désastres de la Réforme : le mal est sans remède».
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Aujourd’hui, l’auteur de ce jugement ferait sûrement l’objet d’une dure réprimande de la part de l’Église. Il est singulier qu’il s’agisse du chef des protestants, MÉLANCHTHON (Epistote, IV, 100).
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LUTHER lui-même, à la fin de sa vie, fit une douloureuse critique de son œuvre bien plus réaliste que les commentaires de ses apologistes catholiques actuels.
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Dans une lettre à ZWINGLI, il écrivait en effet :
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«Il est terrifiant de devoir reconnaître que dans le passé tout était calme et tranquille, que la paix régnait partout, alors qu’aujourd’hui surgissent dans tous les Pays des groupes factieux, c’est une abomination qui fait pitié. Je dois confesser que mes doctrines ont produit de nombreux scandales. Oui, je ne peux le nier : souvent cela m’épouvante, spécialement quand ma conscience me rappelle que j’ai détruit la situation en place de l’Église, si calme et si tranquille sous la papauté».
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MARTIN LUTHER s’est-il fait moine pour échapper à la justice après un duel mortel ? DIETRICH EMME, qui ne croit pas à sa vocation après l’orage, le démontre.
CE NE FUT PAS UN COUP DE FOUDRE
Par Tommaso Ricci
Il est paradoxal que les nouveautés au sujet de LUTHER proviennent de ceux qui font figure d’outsiders. DIETRICH EMME en est un. D’origine protestante (on compte parmi les ancêtres des prêtres et des missionnaires) il est juriste de formation et étudie LUTHER depuis 15 ans.
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Selon la thèse la plus acceptée et diffusée dans le milieu des spécialistes de LUTHER, MARTIN décida d’entrer au couvent, en juillet 1505, après la célèbre expérience traumatisante de l’orage (Gewittererlebnis ou Blitselebnis) qui le surprit en chemin dans les environs d’ERFURT et durant lequel son compagnon de route fut foudroyé.
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En proie à la terreur, LUTHER, alors à peine plus âgé de 20 ans, aurait prononcé le vœu suivant :
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«SAINTE ANNE, viens à mon aide ! Je deviendrai frère».
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C’était le 2 juillet 1505. Le 17 juillet de la même année, il entrait au couvent.
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DIETRICH ERNINE recueillait tranquillement les détails de cette version quand il tomba sur un vieux livre anonyme (Geschischtslügen 1895), dans lequel était écrit :
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«Les raisons pour lesquelles LUTHER est entré au couvent sont présentées de manières différentes par les historiens. Selon OLDECOP, l’ami du Réformateur est mort foudroyé ; COCHLAEUS rapporte également cette version».
En revanche, les plus anciens biographes protestants de LUTHER, MATHÉSIUS, MÉLANCHTHON et SEINECKER, soutiennent que c’est LUTHER qui a tué son ami en duel, et que presque simultanément, il a été traumatisé par un énorme orage.
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Dans tous les cas, LUTHER en personne affirme dans ses lettres avoir prononcé un vœu «forcé et non libre».
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DIETRICH EMME a consacré ces quinze dernières années à éclaircir cette singulière affaire ; et pour y arriver, il a été obligé d’élargir le champ de sa recherche aux années d’études que LUTHER fit à ERFURT (1501-1505).
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Curieusement, l’abondante littérature consacrée au père du protestantisme ne dit pas grand chose sur ces années.
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«LUTHER a-t-il choisi d’entrer au couvent ou a-t-il été contraint d’y entrer parce qu’il avait tué un compagnon d’études en duel ?
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Cette question ne m’a plus abandonné et pendant les sept ans qui ont suivi, j’ai recueilli tout le matériel susceptible de m’aider à y répondre», relate DIETRICH EMME.
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Lequel a publié, en 1986, son premier livre (MARTIN LUTHER. Seine Jugend und Stundenzeit. 1483 1505), après avoir fondé sa propre maison d’édition, afin d’éviter les refus et les conditions des autres éditeurs. Il y a quelques mois est paru un second ouvrage de DIETRICH EMME ( MARTIN LUTHERS Weg ins Kloster, 1991), dans lequel l’auteur reprend et approfondit les thèses de sa première oeuvre.
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Examinons-les en détail.
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Les duels, bien qu’interdits par l’Église et par le décret impérial, étaient un moyen très répandu de résoudre des querelles entre personnes privées, parmi les étudiants en particulier.
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DIETRICH EMME est convaincu que LUTHER s’était déjà battu en duel le 16 avril 1503, et avait été grièvement blessé on trouve une allusion à cette blessure de LUTHER dans les Tischreden (Discours à table), recueil de témoignages d’amis et de convives de l’impétueux personnage découvert à la fin du XlXe, témoignages qui ne concordent pas toujours et parfois imprécis, mais qui constituent toutefois une source à ne pas négliger.
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Voici ce qu’on peut y lire à propos du mardi de Pâques de 1503 :
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«Alors qu’il retournait chez lui, son épée heurta sa jambe par inadvertance, et le blessa. Il se trouvait seul avec un compagnon d’études, à une distance d’ERFURT semblable à celle qui sépare EUTZSCH de WITTENBERG. Le sang commença à couler abondamment. Alors qu’il tentait d’arrêter l’hémorragie avec ses mains, sa jambe commença à gonfler. Finalement, un médecin de la région accourut et guérit la blessure. LUTHER, se trouvant en danger de mort, fit alors le vœu suivant : MARIE, viens à mon aide !».
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Selon DIETRICH EMME, il apparaît peu probable que LUTHER ait pu se faire une telle blessure par hasard, et il suppose donc qu’un duel se cache derrière ce récit.
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Également en raison du fait qu’immédiatement après cet épisode, LUTHER dut inexplicablement quitter l’association estudiantine dont il faisait partie le Collegium Ampionianum, la meilleure de l’université et devint membre de la Georgenburse, beaucoup moins renommée.
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Il est vrai que l’institution universitaire autorisait ceux qui avaient acquis un diplôme académique ( LUTHER était déjà bachelier en 1503) à porter une arme, mais elle en interdisait l’usage.
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Selon DIETRICH EMME, le déclassement académique de LUTHER aurait été une façon de le punir pour s’être battu en duel.
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Cependant, l’événement important sur lequel se concentre l’enquête du chercheur allemand survient en 1505.
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Il existe en effet différentes affirmations de LUTHER, en grande partie extraites de Tischreden, que les étudiants n’ont jamais expliquées, et qui figurent toutefois dans Weirnarer Ausgabe, le recueil de tous les textes de LUTHER.
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«Par une extraordinaire disposition de DIEU, il s’agit des paroles de LUTHER rapportées par VEIT DIETRICH, qui fut pendant quelque temps son secrétaire,
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«ils m’ont fait moine, afin qu’ils ne puissent pas me capturer. Sinon, j’aurais été facilement capturé. Ainsi au contraire, ils ne le purent pas, car mon ordre m’accueillit».
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Dans la préface de De votis monasticis M. Lutheri iudicium (1521), LUTHER écrit :
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«Je ne suis pas devenu moine de bon gré et par ma volonté, et encore moins pour remplir mon estomac, mais, en proie à la terreur et à la peur devant la perspective d’une mort subite, je prononçai un voeu forcé et non libre (coactum et necessarium votum)».
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Selon d’autres témoignages, LUTHER confia que, juste après son obtention du titre de magister (février 1505), après donc avoir poursuivi un objectif très ambitieux et s’étant vu fermer les portes de l’étude convoitée du droit, il fut pris d’«affliction et de tourment».
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En 1521, LUTHER écrit à son ami MÉLANCHTHON qu’il
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«craint d’avoir prononcé son voeu monastique «de manière impie et sacrilège» (magis fui raptus quam tractus).
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Rappelons enfin un épisode étrange, à savoir quand LUTHER tente, au cours de sa première messe, au moment de l’offertoire, de fuir et qu’il est retenu par son prieur.
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«J’étais mort de peur»,
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confessera-t-il à plusieurs reprises.
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Jamais la recherche n’a tenté d’éclaircir ces épisodes et ces références en «discordance» avec la vie du réformateur. DIETRICH EMME affirme que ceux-ci n’acquièrent un sens que si l’on admet que le commencement de l’itinéraire religieux de LUTHER a pour origine un fait tragique.
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Il a d’ailleurs recueilli un grand nombre de preuves qui convergent sur cette hypothèse.
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La première se trouve dans les registres de l’Université d’ERFURT, desquels on déduit qu’entre janvier et février 1505, c’est-à-dire entre la date de l’examen et celle de l’obtention de LUTHER du magister de la Faculté des Arts, un étudiant, du nom HIERONIMUS HENTZ, est décédé après avoir obtenu l’examen.
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«Non promu, car atteint de pleurite juste après l’examen, et décédé de mort naturelle peu après»,
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lit-on dans les actes. La pleuritis était une des plus fréquentes causes de décès à la suite de duels la blessure reçue au thorax pendant le combat se rouvrait donnant lieu à une inflammation pulmonaire mortelle.
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Quant à la «mort naturelle» mentionnée dans les actes, DIETRICH EMME explique que
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«les universités avaient intérêt à «cacher» les morts survenues à la suite de duels, car elle pouvaient nuire à leur réputation et induire de nombreux étudiants, en particulier les plus dotés et de haut lignage, à ne pas s’inscrire».
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Selon DIETRICH EMME, on trouve d’autres indices en examinant le choix monastique de LUTHER. Surtout dans le choix du couvent qui est celui des Ermites de SAINT AUGUSTIN. Il s’agissait d’un des couvents, peu nombreux, qui ne relevait pas de la juridiction de l’autorité ecclésiastique locale (archevêque de MAINZ), mais de ROME ; d’autre part, à cette période l’ordre des augustins était profondément divisé entre les «observants» (antiromains) et les «conventuels» (pro-romains). Le Couvent d’ERFURT appartenait aux «observants», ce qui en faisait un lieu de refuge des plus sûrs.
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«en cachette et de nuit (clam et noctu) dans le couvent des ermites augustiniens d’ERFURT et que durant deux jours entiers des compagnons, des amis, des étudiants et d’autres personnes surveillèrent sans relâche le couvent et l’encerclèrent dans l’intention d’en faire sortir LUTHER ; mais l’entrée du couvent fut si fermement barrée que durant un mois personne ne fut autorisé à s’approcher de LUTHER» (Oracio de dico Lutero, 1590).
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Dans ce contexte, il faut considérer que WEIMARER AUSGABE débute par un écrit de LUTHER négligé par tout le monde sur le droit d’asile dans l’Église. Ce texte est anonymement publié en 1517, et en 1520 avec le nom de l’auteur. DIETRICH EMME, qui a commencé par traduire en allemand cet ouvrage de LUTHER, lui attribue une double signification. D’une part, il souligne la date de publication : 1517 est l’année où sont affichées les 95 thèses, c’est donc le début de la controverse publique protestante.
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Dans cet écrit LUTHER rappelle que selon la loi mosaïque celui qui a tué quelqu’un sans avoir été son ennemi, par inadvertance, sans préméditation n’est pas coupable d’assassinat.
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Serait-ce une sorte d’auto-justification préventive, au moment où LUTHER devenait un personnage public, et de ce fait exposé aux accusations sur son passé ?
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Mais l’ouvrage constitue également une auto-justification publique de l’ordre augustinien, qui allait sûrement faire l’objet de reproches pour avoir accordé l’hospitalité à un ennemi de l’Église et du Pape.
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La réponse implicite était que l’Église n’avait pas le droit de refuser l’asile même aux pires des brigands.
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Autre indice : LUTHER n’entre pas au couvent en qualité de postulant, ni comme frère laïc.
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Durant les six premiers mois de permanence on lui donne à faire les travaux les plus humbles, à lui, le nouveau magister : il doit tourner le lait pour faire le fromage, nettoyer les latrines, il est traité comme un esclave. C’est probablement ce souvenir dégradant qui, chez LUTHER, sera successivement à l’origine de sa haine du monachisme, de l’abandon du sacerdoce et de sa doctrine sur de servo arbitrio.
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Ce que l’on appelle la «théologie du désespoir» luthérienne aurait donc ses racines dans une expérience tragique, dans laquelle fut impliqué LUTHER, et qui détermina contre sa volonté tout le reste de sa vie et de sa doctrine contradictoire.
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Le théologien catholique THÉOBALD BEER a accueilli avec grand intérêt l’ouvrage du protestant DIETRICH EMME, car elle confère des bases existentielles aux erreurs doctrinales de la christologie de LUTHER, lequel aurait projeté sur la figure du CHRIST ses propres blessures intérieures.
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La recherche de DIETRICH EMME est élaborée à partir d’indices. Mais l’auteur soutient qu’il
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«s’est efforcé de donner un sens et de la cohérence à des détails de la vie de LUTHER qui étaient jusqu’à présent restés dans l’ombre et demeurés sans explications. Les autres se contentent de débattre sur ces faits. C’est une méthode trop facile. C’est pourquoi ceux qui ont des critiques et des objections précises doivent se mettre en avant».
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Il n’y a plus qu’à attendre que la loi du silence tombe. Le défi est lancé.
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