jeudi 2 juin 2011

PÉCHÉ ORIGINEL FRANCOIS VARILLON



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«LE MYSTÈRE DU PÉCHÉ ORIGINEL»


Notes prises par un auditeur lors d'une Conférence donnée par le Père FRANÇOIS VARILLON (S.J) théologien, à la cathédrale Sainte Bénigne de Dijon le vendredi 13 décembre 1974



REMIÈRE PARTIE

TERRAIN A DÉBLAYER


I – QUELLE EST LA CONCEPTION COURANTE ?

La représentation courante du péché originel, telle qu’elle résulte d’une lecture superficielle, hâtive, et même un peu naïve, des premiers chapitres de la GENÈSE, peut se résumer comme suit :

Au commencement du Monde, DIEU créa un premier couple : ADAM et ÈVE. Ils avaient tout pour être heureux. Placés dans une sorte de grand jardin (PARADIS TERRESTRE), ils n’avaient pas besoin de travailler, et ils ne connaissaient ni la souffrance ni la mort. Leur bonheur était cependant subordonné à une condition : ne pas toucher à l’arbre du bien et du mal. Or, le serpent, le plus rusé des animaux, tenta ÈVE ÈVE : il lui expliqua qu’en réalité DIEU craignait pour son autorité, car quiconque goûterait au fruit défendu deviendrait semblable à DIEU, et DIEU n’aurait plus d’autorité sur lui.

On connaît la suite : après la tentation le péché, et puis la colère de DIEU, qui chasse ADAM et ÈVE du Paradis, avec les conséquences qui en découlent, non seulement pour eux, mais pour tous leurs descendants ; ceux-ci, comme leurs premiers parents, mourront désormais après avoir gagné leur pain à la sueur de leur front et après avoir enfanté dans la douleur.

Une seule lueur d’espoir en contre-partie de ce lourd bilan : DIEU promet qu’Il enverra un SAUVEUR.

Mais, qu’il soit né avant ou après le SAUVEUR, tout homme est marqué par le péché originel.


II – A QUELLES DIFFICULTÉS CONDUIT CETTE CONCEPTION ?

Le schéma qui vient d'être présenté est difficile à accepter, car il conduit à des difficultés de trois ordres : difficultés d’ordre scientifique, difficultés d’ordre historique, difficultés d’ordre psychologique et théologique.


1. DANS L'ORDRE SCIENTIFIQUE

La Science moderne ne nous permet plus de considérer la GENÈSE comme un traité scientifique sur les origines du Monde et de l’Homme.
On a cru longtemps que la Terre était le centre de l’Univers : nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien ; notre Système solaire n’est qu’un système dans un nombre considérable de systèmes semblables.
On a cru aussi que ce Monde avait été créé une fois pour toutes : nous savons maintenant qu’à chaque instant des mondes nouveaux naissent dans le Cosmos.

On admet à l’heure actuelle que le déroulement des ères géologiques s’étend sur des milliards d’années, et que l’apparition de l’homme remonte à des millions d’années nous sommes loin d’une création en six jours et du modelage d’un premier homme par DIEU lui-même.


2. DANS L'ORDRE HISTORIQUE

Des tablettes assyriennes et babyloniennes découvertes en 1857 ont fait connaître des textes très voisins de ceux de la GENÈSE : jadis considérée comme Livre Unique, la BIBLE a perdu du même coup son originalité quant à la Création, quant à la chute, quant à la colère de DIEU, les récits bibliques ayant des parallèles dans des livres plus anciens.


3. DANS L'ORDRE PSYCHOLOGIQUE ET THÉOLOGIQUE

Si l’enfant est marqué du péché originel dès sa naissance, comment croire en un DIEU-AMOUR, puisque ce DIEU accepte de risquer le salut de sa créature avant qu’elle ait une conscience et une raison ?

Comment se reconnaître pécheur d’un péché qu’on n’a pas commis ? Par quel cheminement doctrinal ce péché a-t-il pris une telle importance dans l’Eglise, alors que les Évangiles n’en parlent jamais ?


III – QUELLES QUESTIONS PEUT-ON SE POSER A PROPOS DU RÉCIT DE LA GENÈSE ?

1. HISTORIQUEMENT ET SCIENTIFIQUEMENT QU'EST-CE QU'UN COMMENCEMENT ?

On ne peut pas saisir le commencement du sommeil, c’est-à-dire le moment précis où l’on ne peut plus dire «Je ne dors pas !» et où l’on peut dire «Je dors». De même il est difficile de situer le commencement du réveil ; quand je me pose la question «Suis-je. éveillé ?», je le suis déjà, mais tant que je ne me pose pas la question je dors encore.

Qui peut parler de sa propre naissance ? Sans témoin vivant qui ait pu me raconter la chose comment décrirais-je la façon dont s’est passée cette naissance ?

De la même manière, la saisie du commencement du Monde est impossible : il est absurde de supposer qu’il y ait eu un homme avant le premier homme pour le renseigner sur sa genèse ; on ne pourra jamais écrire le chapitre premier de l’histoire de l’humanité.

L’humanité se trouve condamnée à ne pouvoir se poser la question de son origine qu’après une histoire lui apportant des possibilités de réflexion, donc à un moment où la saisie historique du commencement est précisément devenue impossible.

La saisie des origines n’est possible que par une réflexion fondée sur une expérience actuelle à partir de cette expérience actuelle, la réflexion permettra en effet, de remonter aux origines.


2. SUR QUELLE EXPÉRIENCE S'APPUIE LE RÉCIT BIBLIQUE ?

Les premiers chapitres de la GENÈSE, qui sont relativement récents, s’appuient sur l’expérience «actuelle» d’Israël vers le IVe ou Ve Siècle avant JÉSUS-CHRIST, A ce moment-là, ISRAËL réfléchit sur son expérience, sur son expérience du mal qui est dans le monde ; ce mal est à la fois :

. un mal extérieur, comprenant tous les dangers dont Dieu a sauvé son peuple : la servitude d’EGYPTE, la MER ROUGE, le désert

. un mal intérieur , infidélités, faiblesses, incapacité à faire le bien.
Ce mal a d’abord été compris comme un châtiment du péché. Mais, avec JOB, l’innocent qui souffre, le mal devient incompréhensible :

«Pourquoi les méchants vivent-ils et vieillissent-ils, grandissant même en force ?» JOB 21,7

«Tout : cela nous est arrivé sans que nous t’ayons oublié, sans que nous ayons été infidèles à ton alliance» PSAUME 44,18

«Pourquoi la voie des méchants est-elle prospère ? Pourquoi tous les perfides vivent-ils en tranquillité ?» JÉRÉMIE 12,1



La lucidité d’ISRAËL sur cette double réalité du mal et du péché ne lui donne pas la solution. C’est pourquoi ISRAËL poursuit sa réflexion plus avant, et après avoir constaté que le péché est partout et qu’il a existé de tout temps, en conclut qu’il date des origines. D’où un double retour :

. aux origines du monde, avec en arrière-plan l’image de la création salvatrice d’ISRAËL

. aux origines du mal, avec en arrière-plan l’image du péché actuel et de ses conséquences incompréhensibles.


3. DANS QUEL LANGAGE, L'EXPÉRIENCE D'ISRAËL A-T-ELLE ÉTÉ TRADUITE ?

En réfléchissant sur ce vécu, sur son expérience du mal, ISRAËL cherche un moyen d’expression : il lui faut un langage, qui sera trouvé dans la littérature «mythologique» des nations voisines =}=}=}  ÉGYPTE, SYRIE, BABYLONIE. C’est en empruntant ce langage que les sages d’ISRAËL composent, vers le IVe ou Ve siècle avant JÉSUS-CHRIST, le mythe d’ADAM.

4. QU’EST-CE QU’UN MYTHE ?

Parmi les divers sens qu’on peut donner à ce mot complexe qu’est le mot «mythe», nous en retiendrons deux pour ce qui nous concerne :

a) PREMIER SENS

Le mythe est une construction narrative qui projette dans le temps primordial un certain archétype des réalités terrestres sous la forme d’une réalité exemplaire vécue par les dieux.

Dans ce premier sens, le mythe est donc un récit qui nous renvoie à un temps primordial antérieur à l’histoire humaine, quelque chose qui se passe dans le monde des dieux, et qui est l’exemple de ce qui se passe dans le monde des hommes et dont on a l’expérience. (Cf. l’OLYMPE des grecs ou le WALHALLA de WAGNER).

b) DEUXIÈME SENS

Le mythe est l’effort entrepris par l’imagination humaine pour représenter de manière concrète des réalités qui échappent à l’expérience sensible, mais qui ont une place dans l’expérience religieuse.

En d’autres termes, le mythe est une oeuvre d’imagination pour représenter, à l’intérieur même de l’histoire, des réalités qui échappent à notre expérience sensible : c’est pourquoi le domaine privilégie du mythe sera le temps des commencements, puisque, comme nous l’avons vu, on ne peut pas saisir le commencement de l’humanité.

5. DANS QUEL SENS PEUT-ON DIRE QUE LE RÉCIT BIBLIQUE EST UN MYTHE ?

Au premier sens du mot mythe, il n’y a pas de mythe dans la BIBLE.
Dans la BIBLE il n’y a ni OLYMPE ni WALHALLA. Il n’y a pas de combats entre les dieux. Il n’y a rien qui. se passe avant le commencement de l’histoire humaine. En ce sens, par rapport aux mythes des religions païennes, la BIBLE «démythise».

Par contre, si l’on prend le deuxième sens du mot mythe, il y a mythe dans la BIBLE. Puisque l’origine de l’humanité nous échappe, à ISRAËL comme à nous, la question n’est pas de savoir si la GENÈSE nous dit ce qui s’est historiquement passé, la question est de savoir si ce que la GENÈSE nous dit nous permet de retrouver notre expérience actuelle. En d’autres termes, est-ce que, en lisant le récit de la GENÈSE, je me reconnais : moi, vivant au XXe siècle ; moi, fils d’ADAM et de la même race que lui ?

Je dirai donc : le récit de la GENÈSE est un mythe, mais un mythe démythisant. En effet, dans les mythes païens, il y a toujours des rivalités et des jalousies, entre les dieux d’abord, entre les dieux et les hommes ensuite, et les hommes en font les frais, sans qu’il soit jamais question ni de liberté ni de responsabilité. Dans la GENÈSE, c'est tout le contraire.

6. A QUEL GENRE LITTÉRAIRE APPARTIENT LE RÉCIT DE LA GENÈSE ?

Si nous reconnaissons un soubassement mythique à la GENÈSE, nous
constatons pourtant que le genre littéraire du chapitre 3 (PARADIS TERRESTRE, chute) est tout autre qu’un genre purement mythique. Nous y retrouvons le genre «sapientiel» du Livre de la SAGESSE, du Livre de l’ECCLESIASTE, ou du Livre des PROVERBES. Ce n’est ni un récit historique ni un récit philosophique ; c’est un genre où s’expriment les réflexions et l’expérience des sages, et cela sous forme de proverbes, de discours, de sentences plus ou moins solennelles, visant à diffuser un enseignement de portée universelle, présenté parfois sous une forme un peu énigmatique ressemblant à une devinette, par exemple :

«La porte tourne sur ses gonds, Ainsi le paresseux sur sa couche» PROVERBES 26,14

Mais, à côté des petites énigmes amusantes, il y a dans ces textes toutes les grandes énigmes de la destinée humaine, de la vie et de la mort, et du monde.

Dans les premiers chapitres de la GENÈSE il ne s’agit pas d’un récit historique comme ceux de la vie de DAVID ou de la vie de SALOMON, il ne s’agit pas d’une thèse de philosophie, il ne s’agit pas d’un récit mythique, il s’agit d’un récit sapientiel, d’un écrit de sagesse, dont la pointe est la résolution d’une énigme. Quelle énigme ? L’énigme majeure de la condition de l’homme dans le monde et devant DIEU, avec le problème du mal et de la souffrance.

Ce récit est le fruit de l’expérience d’ISRAËL et de la réflexion des sages. Il n’a pas, quant à la chute, valeur explicative.

REMARQUES

1. CE N'EST PAS SUR LE RÉCIT DE LA GENÈSE QUE L’EGLISE FONDE LE DOGME DU PÉCHÉ originel.

Tout dogme de l’Eglise, tout énoncé dogmatique, a un éclairage qui nous vient du Mystère du CHRIST. L’ensemble des énoncés de la Foi, c’est la somme des affirmations qui sont nécessaires au cours de l’histoire pour que la lumière qui nous vient du CHRIST soit correctement reçue. L'Église intervient toutes les fois qu’il apparaît que cette lumière qui nous vient du CHRIST peut être déformée ou reçue de travers. Une proposition dogmatique se trouve toujours au niveau du NOUVEAU TESTAMENT ; elle ne peut pas se fonder sur quelque chose qui est antérieur à JÉSUS-CHRIST. Or, l’Evangile ne parle pas du péché originel, il ne parle même pas d’ADAM (sauf SAINT LUC 3,38). Nulle part il n’est dit dans l’Evangile que JÉSUS est venu pour effacer le péché originel, ou pour racheter la faute d’ADAM.

Certes, il y a SAINT PAUL, celui-ci dit en substance :

«De même que, vous autres Juifs, vous dites que tous les hommes sont solidaires en ADAM, a fortiori je vous déclare, moi PAUL, que nous sommes tous solidaires, et beaucoup plus profondément, en JÉSUS-CHRIST ressuscité, car JÉSUS-CHRIST est le nouvel ADAM... Dans le CHRIST, nous sommes solidaires par la vie divine qu’Il nous donne et qui nous libère du péché....» ROMAINS 5,12

Autrement dit l’unité du genre humain est beaucoup plus profonde que vous le pensez.

Qu’on ne fasse pas dire à SAINT PAUL plus qu’il ne dit pour lui c’est le CHRIST qui est au centre, tout est pour le CHRIST et par le CHRIST.

«Par un seul homme le péché est entré dans le monde» ROMAINS 5,12

signifie simplement qu’il partageait l’opinion de son temps suivant laquelle l’humanité descendait d’un couple unique (hypothèse monogéniste), alors qu’on se range plus volontiers aujourd’hui à l’hypothèse polygéniste (Cf. TEILHARD DE CHARDIN).

2. IL NE FAUT PAS VOIR DANS LA RÉDEMPTION UNIQUEMENT LE RACHAT DU PÉCHÉ.

On se trompe en théologie quand on isole un dogme. On a trop souvent présenté le christianisme à partir du seul péché originel (mal compris), comme si la chute du PARADIS TERRESTRE était le point de départ de tout ce que nous croyons. Expliquer l’Incarnation par le péché, admettre que sans la chute d’ADAM Dieu ne se serait pas incarné, c’est une erreur.

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EUXIÈME PARTIE

RÉFLEXIONS POSITIVES

Même si les choses ont été longtemps envisagées d’une façon trop infantile, même si un aspect du dogme a été privilégié à l’excès, il ne faut pas, tout rejeter, et je vais maintenant vous présenter sans vouloir vous l’imposer une interprétation personnelle.


POINT ESSENTIEL : NOUS SOMMES RADICALEMENT PÉCHEURS.

Ce qui est essentiel dans le dogme du Péché originel c’est que nous sommes radicalement pécheurs, pécheurs à la racine de nous-mêmes. Nous ne sommes pas pécheurs par la bande, pécheurs par accident ; nous le sommes à la racine même de notre être. La vérité ou, l’authenticité de notre relation avec DIEU c’est d’être «des pécheurs pardonnés dans les bras d’un Père gui nous pardonne».

Si l’on jette par la fenêtre le dogme du péché originel, très vite l’homme pensera pouvoir s’approcher de Dieu la tête haute ... et non plus comme le fils pécheur de jetant dans les bras du Père qui lui pardonne.

Seulement il importe de se faire une idée juste de ce que l’Eglise entend par «PECHE ORIGINEL».


I – QUI EST ADAM ?

L’Eglise dit qu’il y a «péché originel». Elle parle de la «faute d’ADAM». Mais elle ne dit pas qui est ADAM. La question qui se pose est donc : qui est ADAM ?

Il est permis avant tout d’écarter l’idée d’un temps, d’une époque, où le premier homme aurait vécu dans un état de béatitude et de perfection sans trouble, état qui aurait cessé, à l’heure H d’un jour J, à la suite d’une catastrophe. Nous ne sommes pas tenus de croire cela.
Ce que l’auteur de la GENÈSE veut nous présenter quand il parle de la situation avant la chute, c’est notre situation à nous, aussi bien hommes du XXe siècle qu’hommes de n’importe quel temps. Il a voulu montrer la situation de tout homme à l’égard de DIEU et à l’égard du péché.

ADAM n’est pas un homme, ADAM c’est l’homme, donc vous, donc moi. L’histoire d’ADAM c’est notre histoire.


II– COMMENT FAUT-IL ENTENDRE LA «PERFECTION» D'ADAM ?

Les textes nous disent qu’ADAM a été créé dans un état de sainteté, de justice, de perfection. Cela nous oblige-t-il à concevoir le premier homme (ou éventuellement les premiers hommes) comme doués d’une intelligence parfaite et d’une liberté parfaite, à en faire en quelque sorte un surhomme ? Nos lointains ancêtres paraissent au contraire avoir eu quelque peine à émerger de l'animalité, ils avaient du mal à se servir de leurs mains, ils avaient du mal à faire du feu, etc. Il n’est nullement nécessaire d’imaginer au début de l’humanité un surhomme parfaitement vertueux, parfaitement équilibré. Il faut même éviter à tout prix cette interprétation.

Ce que la GENÈSE nous montre, c’est la fin à laquelle DIEU appelle l’homme. La perfection du premier homme (ou des premiers hommes) c’est de n’être pas un être comme les autres êtres de la nature, c’est d’être appelé par DIEU dès l’origine à une fin proprement divine, c’est d’être appelé à être divinisé. Ce n’est pas la perfection d’une situation, mais la perfection d’une vocation. C’est ce que la BIBLE nous dit quand il est question de «l’image» et de «la ressemblance» de DIEU l’homme est appelé à devenir ce qu’il doit être.

Ce que DIEU donne à l’homme ce n’est pas une liberté toute faite, qu’on recevrait comme un cadeau ou comme un bijou, c’est la capacité de devenir parfait, comme DIEU lui-même est parfait. DIEU veut que l’homme devienne parfait à son image et à sa ressemblance.
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Ne dites pas «DIEU a créé l’homme libre», mais : «DIEU donne à l’homme la possibilité de devenir libre». C’est parce qu’il a cette capacité que l’homme est différent des autres êtres de la nature.
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La liberté se définit par des rapports de personne à personne : relations de justice, de respect, d’amour, de fraternité.

DIEU veut que l’homme devienne parfait et libre par son propre effort (et aussi par la grâce) : l’homme ne peut pas se faire lui-même, il ne peut qu’accueillir le don de DIEU qui l’appelle à participer à la vie divine, mais il faut que l’homme collabore par son propre effort.
Tout cela doit aboutir à la «divinisation» de l’homme.

La Bible nous rapporte le commencement d’une histoire ; ADAM est le commencement d’une histoire au terme de laquelle l’homme doit être parfait comme Dieu lui-même est parfait «L’homme est appelé à devenir par participation ce que DIEU est par nature». Nous le répétons une fois de plus cet idéal, l’homme ne peut pas le réaliser par lui seul. DIEU veut que l’homme soit un Dieu créé. Mais, prisonnier de ses origines terrestres, de ses «racines cosmiques», l’homme entend à la fois la voix de la nature, qui l’invite à vivre comme les autres êtres, c’est-à-dire conformément à son instinct «Vis pour toi» la voix de DIEU, qui l’appelle à devenir libre.

Ainsi, construire une liberté est une tâche très exigeante.

Tout homme sait, par expérience, qu’il est tiraillé entre une force ascensionnelle qui l’entraîne vers DIEU et une force de pesanteur et d’inertie d’un côté le chemin de la liberté, de l’autre le chemin de la servitude. Être libre c’est n'être l’esclave de rien.

La condition humaine c’est un double appel : l’appel à vivre pour DIEU, l’appel à vivre pour soi.

En cette matière, la condition du premier homme n’était pas tellement différente de la nôtre.


III – QUE PENSER DE LA FAUTE D'ADAM ?

Il n’y a pas lieu de se représenter ADAM comme un surhomme s’il était un surhomme, comment s’expliquerait sa chute ? La BIBLE nous montre ADAM très simplement avec sa force et sa faiblesse grandeur de sa vocation, faiblesse de sa situation.

Comme SAINT IRÉNEE, qui contrairement à SAINT AUGUSTIN voit dans la faute d’ADAM une simple «faute d’enfant», j’ai tendance à considérer que cette faute n’a pas eu un caractère exceptionnel.
La faute est liée à l’éveil de la conscience morale, c’est-à-dire au moment où l’homme constate qu’il est différent des autres êtres de la nature, et qu’il n’a pas le droit de se comporter en obéissant simplement à son instinct.

Au fond, ce que DIEU demande à l’homme, c’est de se réaliser en acceptant de tendre vers DIEU. Le péché de l’homme (le péché d’ADAM) c’est de choisir de se réaliser en vivant pour soi, et en éliminant l’appel de DIEU, considéré comme trop exigeant.
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La ruse du serpent a consisté à suggérer au premier couple que DIEU ne tiendrait pas sa promesse ce soupçon est un péché contre l’Amour.
ADAM c’est l’humanité tout entière. Le péché d’ADAM c’est notre péché ; et la BIBLE nous montre quelle distance incommensurable sépare l’appel de DIEU de l’appel de la nature.


IVCOMMENT CONCEVOIR LE RÈGNE DU PÉCHÉ DANS LE MONDE - LA TRANSMISSION DU PÉCHÉ ?

Nos péchés ne passent pas à nos enfants et à nos voisins, car le péché est personnel. Mais le péché perturbe les relations des hommes les uns avec les autres. Chacun de nos actes (et même chacune de nos pensées) a des répercussions sur notre comportement social : pour qui est hanté par l’argent, toute situation se présente comme une occasion de gain ; pour qui est hanté par la luxure, toute femme apparaît comme une occasion possible de plaisir. Le péché est une provocation au mal que nous déposons dans la conscience d’autrui.
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Tout péché que nous commettons s’inscrit dans l’ensemble des relations humaines ; tous les actes mauvais de tous les hommes s’agglutinent par un phénomène de concaténation ; et il y a ainsi une pesanteur, une inertie, qui augmente de siècle en siècle (Cf. phénomènes d’hérédité chez les drogués ou chez les alcooliques) de ce fait, l’enfant qui vient de naître est incliné dans le sens de l’égoïsme.
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Le péché d’ADAM c’est le péché du monde. Et chacun de nos actes mauvais accroît le péché qui est à l’origine de la nature humaine.


REMARQUES


1. PÉCHÉ ORIGINEL ET INCARNATION

Si on s’entête à dire qu'ADAM était un surhomme, si l’on admet que la Bible nous décrit une situation et non une vocation, un état et non le commencement d’une histoire, on arrive à penser que, si ADAM n’avait pas péché, l’humanité aurait pu se passer de l’Incarnation, l’humanité aurait pu déboucher par elle-même et sans JÉSUS-CHRIST dans la vie divine. C’est un peu raide ! Et c’est pourquoi je pense qu'ADAM n’était pas un surhomme.

2. PÉCHÉ ORIGINEL ET POLYGÉNISME

En 1950, dans son Encyclique «HUMANAE GENERIS»,

« On ne voit pas comment le dogme du Péché originel est compatible avec le polygénisme» PIE XII

Mais cette formule (qui corrigeait heureusement une rédaction antérieure moins souple) n’a pas fermé la voie à la recherche scientifique, et depuis lors dans l’Eglise les partisans du polygénisme sont devenus nombreux.


CONCLUSIONS

Le mythe est le vêtement du Mystère. Toute tentative d’expliquer le mal échoue, et échouera toujours sur un ultime pourquoi ce qui fait que le mal est mal c’est précisément qu’il est inexplicable.

La BIBLE nous fait sortir de la problématique des pourquoi. Le Mal n’est pas fait pour être compris, mais pour être combattu.


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NNEXE

QUESTIONS POSÉES A L'ISSUE DE LA SÉANCE DU SOIR


PREMIÈRE QUESTION

Si DIEU est vraiment un Être parfait et bon, comment expliquer les difficultés dans lesquelles l’homme se débat constamment ? La liberté ne serait-elle pas pour l’homme un «cadeau empoisonné» ?

RÉPONSE :

C’est précisément parce qu’Il est parfait, et parce que cette perfection consiste à aimer, que DIEU s’interdit d’intervenir dans les difficultés que l’homme rencontre pour se créer lui-même.

Ne risquons-nous pas d’avoir de Dieu une conception figée, pétrifiée, comme si la nature de DIEU pesait sur Lui ? Il faut soustraire DIEU à cette pesanteur d’une nature (se reporter à la philosophie de SCHELLING) : DIEU n’est pas Amour, Il est liberté d’Aimer, décision d’Aimer.

L’homme, doit construire Sa liberté ; cette liberté n’est pas toute faite ; il est impossible que DIEU nous installe dans une boîte capitonnée, qu’Il intervienne pour que nous ne souffrions pas, qu’Il veuille diriger Lui-même cette construction de nous-mêmes par nous-mêmes. Mais je crois qu’il existe une souffrance de DIEU : DIEU n’empêche pas la souffrance des hommes, alors qu’Il pourrait en l’empêchant s’éviter à Lui-même de souffrir.

DIEU ne juge pas que le liberté soit pour l’homme un «cadeau empoisonné». D’abord ce n’est pas un cadeau ; ensuite c’est le don suprême, mais ce n’est pas le don d’une chose, c’est le don d’une tache à accomplir : «faire, et en faisant se faire»

Dans mon, esprit (mais sur ce point je ne veux rien imposer) si DIEU n’est pas celui qui souffre le plus de la souffrance du monde, la Création est peut être inintelligible. Le Monde n’est justifiable que si DIEU est le plus vulnérable de tous les êtres mais pour qu’il en soit ainsi il ne faut pas envisager Dieu comme une «nature».

DEUXIÈME QUESTION

Le péché originel se réduit-il au «mal qui est dans le monde» ? N’a-t-il pas un caractère distinctif plus spécifique et plus particulier ?

RÉPONSE :

Chute et Rédemption sont inséparables. Le péché originel n’est pas «originaire» ; il n’appartient pas à l’essence de l’homme mais à son histoire. J.J.ROUSSEAU a bien senti cette opposition entre la nature et l’histoire : quand il dit que l’homme est naturellement bon, il proclame une vérité chrétienne, mais il y a une distance entre ce qu’on pourrait appeler l’état de paix (la morale) et l’état de guerre (l’histoire). Les deux formules :

« L’homme est un ami pour l’homme» SPINOZA

« l'homme est un loup pour l’homme» HOBBES

sont vraies : la première d’une vérité de nature, la seconde d’une vérité historique.

C’est dans ce divorce que se débattent le croyant et l’incroyant. DIEU n’a pas l’initiative du mal. L’homme le réalise dans une histoire qu’il doit prendre en charge et dont il a la responsabilité.


TROISIÈME QUESTION

En changeant de vocabulaire, et en remplaçant le terme «Péché originel» par une formule telle que «propension radicale au péché», ne trouverait-on pas un moyen d’éviter les fausses interprétations ?

RÉPONSE :

Comme je viens de le dire, dans la vie du chrétien, péché et rédemption sont inséparables ; la vérité de la relation de l’homme avec DIEU c’est d’être «un pécheur pardonné entre les bras d’un Père qui pardonne». Si vous minimisez le péché originel, vous n’êtes plus pécheur à la racine de votre être. L'Église considère que le péché originel est quelque chose d'essentiel.

Si le mot «péché» est équivoque quand il s’agit de l'enfant qui vient au monde, le mot «péché» doit bien, au contraire, être maintenu quand il s’agit de nos actes personnels : par opposition à la faute, qui est une action déshumanisante qui nous fait moins homme, le péché est une action dédivinisante qui nous fait moins CHRIST ; objectivement c’est le même acte, mais pour le chrétien, ce qui déshumanise dédivinise. L’essentiel de notre Foi c’est que le CHRIST divinise ce que nous humanisons. Notre tâche humaine est de faire que l’homme soit.


QUATRIÈME QUESTION

SATAN est-il encore utile ?

RÉPONSE

Je n’en sais rien. La question des anges et des démons n’est pas au premier plan des préoccupations actuelles de l’Eglise.


CINQUIÈME QUESTION

La faute originelle n’est-elle pas une faute dans la façon non divine de transmettre la vie ?

RÉPONSE

L’union de l’homme et de la femme n’est pas une union animale, mais une union raisonnable, rationnelle. Quand l’ensemble des relations humaines se trouve perturbé, cette «conscience commune» du genre humain se traduit dans les relations entre homme et femme. A l’origine de tout homme, il y a un acte proprement humain : acte de raison et de liberté ; si cet acte est pris dans le péché du monde, les conséquences sont bien celles que vous évoquez.


SIXIÈME QUESTION

Comment situez-vous l’innocence de l’enfant, consacrée par JÉSUS ?

RÉPONSE :

« l’enfant est un «pervers polymorphe » FREUD

JÉSUS, montrant des enfants, déclare pourtant : «Le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent». Je pense que FREUD a raison. Mais je pense aussi qu’il y a dans l’enfance naturelle de quoi comprendre que notre état final doit être un état d’enfance.

«La véritable enfance n’est atteinte qu’à l’agonie » BERNANOS

Le véritable enfant est celui qui, à travers le drame humain, a retrouvé l’innocence dont l’enfant est le signe (se reporter à l’ouvrage du Père VARILLON sur «L’humilité de Dieu»).


SEPTIÈME QUESTION

Quel est l’effet du Baptême sur le Péché originel ?

RÉPONSE :

Nous aurons l’occasion de reparler du Baptême plus tard. Le Baptême est un Sacrement, donc un signe. L’Eglise est visible par les signes que sont les Sacrements. Le Baptême incorpore l’enfant à l’Eglise visible où réside la grâce du CHRIST, c’est-à-dire l’énergie ascensionnelle qui permet à l’humanité de construire une liberté aboutissant à la liberté même de DIEU.

Ne dites pas que le Baptême «efface» le Péché originel : le Péché originel n’est pas une tâche.


HUITIÈME QUESTION

Pourquoi la SAINTE VIERGE a-t-elle été préservée du Péché originel ?


RÉPONSE :

C’est une question difficile. On comprend bien que celle qui avait à accomplir une tâche unique dans l’histoire devait être préservée de toute entrave à la divinisation : pour accomplir une oeuvre proprement divine, il fallait qu’elle soit élevée à la vie divine. Mais le problème est de comprendre ce que signifie «l’IMMACULÉE CONCEPTION» : cela signifie simplement à mon avis que MARIE a le privilège d’échapper à la perturbation des relations humaines, et que tous les actes qu’elle pose dès son origine sont des actes purs.

NEUVIÈME QUESTION

Que des hommes deviennent pécheurs soit ! Mais que des hommes «naissent pécheurs» comment peut-on l’admettre ?

RÉPONSE :

L’homme ne naît pas pécheur, puisqu’à sa naissance il n’a pas encore posé d’acte libre. Mais il entre dans un monde perturbé. Et il se trouve de ce fait lui même perturbé.


DIXIÈME QUESTION

Sous quelle forme concrète la doctrine du Péché originel peut-elle être présentée aux enfants ?

RÉPONSE :

Ne vous pressez pas trop, sans quoi tout ce que vous enseignerez à ces enfants risque d’être axé sur le péché originel et sur la chute. Ne parlez pas en premier lieu de l’Enfer. Attendez que l’enfant ait une certaine expérience, qu’il ressente par exemple le «tiraillement» entre le désir de partager sa pomme avec le camarade qui n’en a pas et le désir de manger sa pomme tout seul. Avancez progressivement à partir d’expériences concrètes L’essentiel c’est le positif : montrer que la vocation de l’homme est d'être divinisé (il faudra arriver à expliquer cela); ensuite seulement on parlera du péché qui dédivinise.


ONZIÈME QUESTION

SAINT AUGUSTIN n’a-t-il pas donné trop d’importance au Péché originel ?

RÉPONSE

Je le pense, et je conseille de revenir à SAINT IRÉNÉE. Mais ne mésestimons pas le génie de SAINT AUGUSTIN, dont la pensée a été si féconde pour la Chrétienté, ne serait-ce que par les discussions qu’elle a engendrées (au XVIIe Siècle par exemple).


DOUZIÈME QUESTION

Le malin génie qui animait certains Pères de l’Eglise n’est-il pas une manifestation du Péché originel ?

RÉPONSE

Voilà une bonne conclusion

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